Prévention et accès aux soins : patientes oubliées
La prévention et l’accès aux soins sont les deux conditions sine qua non d’une santé optimale. Pour les femmes en situation de handicap, ces conditions ne peuvent pas toujours être remplies. À l’heure où le gouvernement développe ses propositions pour faciliter l’accès aux soins dans le cadre de la future stratégie nationale pour la santé, une réalité s’impose. Celle de patientes oubliées.
« La médecine n’est pas faite pour les personnes les plus malades », assène d’emblée le Dr Olivier Manceron. Ce médecin généraliste, membre de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA), est particulièrement concerné par les femmes en souffrance. Et plus précisément par la souffrance de celles que notre société laisse dans une douloureuse invisibilité. La prévention et l’accès aux soins des femmes handicapées ? Le médecin n’y va pas par quatre chemins et fait un constat abrupt en citant Virginie Despentes : « Quand on n’est pas vendable sur le marché de la bonne meuf... » Il n’y aurait donc aucun espoir, même sur un plan strictement médical, dans notre société au modèle résolument patriarcal pour les femmes handicapées. État des lieux.
Des femmes sans réelle prévention
Selon l’enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) d’avril 2015, « Les personnes en situation de handicap vivant à domicile ont un moindre accès aux soins de prévention par rapport à celles sans handicap. » Ce phénomène s’accentue encore lorsqu’on est une femme. De fait, une femme handicapée sur trois n’est pas dépistée pour le cancer du col de l’utérus. Par ailleurs, l’accès à la mammographie, acte préventif contre le cancer du sein, est plus faible de 7 % pour les femmes présentant des limitations motrices ou cognitives.
Ainsi, avoir un bon suivi gynécologique et obstétrical relève pour les femmes handicapées moteurs d’un véritable parcours du combattant : difficultés d’accessibilité dans les cabinets de ville, tables d’examen non adaptées, équipes médicales peu formées... Devant des obstacles si nombreux, les structures de soins semblent avoir renoncé. Seuls l’Institut mutualiste Montsouris et plus récemment l’hôpital La Pitié-Salpêtrière ont ouvert une consultation s’adressant spécifiquement aux femmes handicapées, et font ainsi figure de pionniers dans le domaine. « Parmi mes patientes, seules 10 % bénéficient d’un suivi gynécologique », précise Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme au sein de la consultation «Handicap et parentalité» de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM). Cela tient en partie à une mauvaise connaissance du handicap de la part des professionnels de santé, mais également à un manque d’information des femmes en situation de handicap. Nathalie Renard, directrice du service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés à l’hôpital de Nice, explique : « Le Centre de coordination et de dépistage des cancers qui propose une mammographie gratuite aux femmes à partir de 50 ans reçoit des réponses pour le moins alarmantes, du type : «Ce n’est pas la peine de dépister un cancer, j’ai déjà une sclérose en plaques !» Comme si le handicap pouvait les protéger. »
« Les médecins et les professionnels de santé devraient déjà recevoir une formation spécifique pour accueillir la grande diversité de femmes en situation de handicap, insiste le Dr Manceron. Mieux connaître leur handicap leur permettrait d’instaurer un dialogue de confiance essentiel à la relation soignant-soigné. Mais là encore, il faut du temps et quand on sait que la durée moyenne d’une consultation en médecine générale en France est de 11 minutes, on imagine assez bien les écueils sur lesquels viennent buter les consultations pour personnes handicapées. » De fait, les médecins ont besoin de plus de temps et aussi d’aidants correctement formés à des prises en charge particulières : aider une personne à quitter son fauteuil roulant pour la placer sur une table d’examen, communiquer avec une femme sourde ou/et muette, parler de contraception avec une jeune fille handicapée mentale...
Une accessibilité trop limitée
En 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances stipulait notamment l’obligation d’accessibilité des établissements recevant du public. Hélas, depuis 2014, cette politique de mise aux normes a enregistré de nombreux reculs, laissant les patients inégaux face à la maladie. De fait, l’inaccessibilité des bâtiments (hôpitaux, centres de santé...), du matériel médical, une mauvaise signalisation qui ne prend pas en compte les différents handicaps, l’étroitesse des encadrements de portes, la présence de marches à l’intérieur des bâtiments... sont autant d’obstacles pour se rendre à une consultation. Ainsi, l’Association des paralysés de France (APF) estime que « la moitié des cabinets médicaux et paramédicaux restent incapables d’accueillir des personnes handicapées ».
Les femmes à mobilité réduite, par exemple, ne sont souvent pas en mesure d’accéder au dépistage du cancer du sein et du cancer du col de l’utérus : la hauteur des tables d’examen n’est pas adaptable et les équipements de mammographie ne sont prévus que pour les femmes qui peuvent se tenir debout. La gynécologie n’est d’ailleurs pas la seule spécialité à créer difficulté.
Toutes les spécialités médicales sont concernées, de la médecine générale à l’ophtalmologie, et même les soins de kinésithérapie, parfois si essentiels aux personnes confrontées à des handicaps sévères.
Dans le cas des cancers, il a été observé que la taille des tumeurs dépistées chez les personnes handicapées se révélait souvent supérieure à celle constatée auprès de la population générale. Cela confirme l’existence d’un dépistage insuffisant et d’un diagnostic tardif, avec de lourdes conséquences potentielles. Pour les personnes handicapées mentales, le problème est plus compliqué encore, car elles présentent très souvent des pathologies multiples nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire – or les difficultés d’accès aux soins conduisent à l’aggravation des pathologies et à des soins beaucoup plus lourds.
Quand la violence s’en mêle
Le handicap est un facteur aggravant des violences ou des maltraitances commises envers les femmes. « Dans de telles situations, leur santé devient un problème secondaire, voire dérisoire, explique le Dr Manceron. Comment les convaincre d’avoir un suivi gynécologique ou autre quand leur première urgence est d’élaborer des stratégies pour tenter d’échapper aux coups ? » Dès lors, c’est l’ensemble de notre société qui doit se mobiliser pour prévenir ces violences, afin que les plus vulnérables d’entre nous aient la possibilité de bénéficier d’une prise en charge médicale de qualité.
Télémédecine : la solution ?
La télémédecine est l’un des grands chantiers santé 2018 ! Reconnue par la législation depuis 2009 mais restée jusqu’à présent marginale, elle porte tous les espoirs d’un gouvernement en lutte contre les déserts médicaux. Son principe réside dans la consultation médicale à distance via les nouvelles technologies numériques. En 2016, la fondation Malakoff Médéric a récompensé le projet TéléHandi mis au point par le centre hospitalier de Valenciennes. TéléHandi, comme de nombreux projets similaires, a pour objectif de rendre effectif et accessible le déploiement d’une équipe mobile formée aux soins de support et aux soins palliatifs auprès des personnes en situation de handicap. Parce qu’elles ont des difficultés à se rendre chez le médecin et vivent souvent dans des conditions très précaires, les femmes en situation de handicap pourraient-elles trouver dans ce type de médecine une réponse à leurs besoins ? « La télémédecine est une médecine de symptômes, prévient le Dr Manceron. Or ces femmes, plus que toutes les autres, ont avant tout besoin de libérer leur parole, de reprendre contact avec l’humain. » Bref, du temps, des mots, de l’écoute... tout ce que la télémédecine ne pourra jamais leur accorder, tout en maintenant pourtant les tarifs de consultation à 25 euros...