“Expert addikt”
Il est la figure montante, scientifique et médiatique, de l’addictologie. Une figure que l’on reconnaît aisément avec sa bouille ronde, ses lunettes rectangulaires et sa coupe de cheveux mi-afro, mi-metal. Laurent Karila pratique, enseigne, recherche, communique et sensibilise sur le sujet. Ça tombe bien, nous l’avons interviewé.
D’où vous vient cette “prédilection” pour les addictions ?
Très tôt, j’ai été sensibilisé aux problèmes d’alcool, de drogues, de comportements addictogènes chez les patients. C’était en 4e année de médecine à la faculté Saint-Antoine, je faisais mon premier stage de psychiatrie. Les patients addicts étaient un peu mis de côté. Je m’y suis intéressé de plus près pour comprendre leur maladie. En 2001, quand s’est créé le diplôme d’études spécialisées complémentaires d’addictologie, j’ai reçu cette nouvelle comme un message, un signal. J’ai construit toute ma carrière autour de l’addictologie. Par ailleurs, en grand addict positif au metal, la maxime « Sex, drugs and rock’n’roll » avait aussi une signification pour moi dans le sens des soins pour les deux premiers !
Vous avez déclaré que la crise Covid et ses confinements avaient fait augmenter de 25 % les situations de handicap psychique. En diriez-vous de même pour les addictions ?
Oui, on peut dire qu’il y a une augmentation des comportements addictifs avec l’alcool, le tabac, le cannabis et d’autres substances. Il ne faut pas exclure les addictions comportementales comme la sexualité virtuelle, les jeux de hasard et d’argent, les jeux vidéo, les réseaux sociaux. En pleine pandémie, la Global Drug Survey montrait que 47 % des répondants français avaient augmenté leur nombre de jours de consommation d’alcool dans la semaine depuis le mois de mars ; 25 % des usagers de cannabis déclaraient avoir augmenté leur consommation pour gérer leur stress ; 41 % des personnes avaient augmenté leur consommation de produits psychotropes (plus forte augmentation par rapport aux autres pays de l’enquête). On a également vu une augmentation des demandes de consultation.
Quelles sont les dernières tendances addictives ?
Sur le plan des substances et des comportements, cela dépend des générations ! Chez les adultes, on voit l’émergence de l’addiction à l’alcool chez la femme, plus de consommation de tabac chez elle aussi, les nouvelles drogues de synthèse disponibles sur le Web, la cocaïne qui s’est complètement démocratisée, les médicaments opioïdes, les activités sexuelles en ligne compulsives, les paris en ligne. L’addiction au sport avec bigorexie et le chemsex (rapports sous produits chimiques) sont aussi dans ce nouveau paysage.
Chez les plus jeunes, il s’agit plutôt de comportements excessifs comme l’usage problématique des smartphones, tablettes ou ordinateurs (on les retrouve chez les adultes aussi) avec tout ce qui est véhiculé par cette matrice : réseaux sociaux, activités sexuelles, paris en ligne, jeux vidéo en ligne. Nous venons de lancer une étude sur le speed watching, un phénomène qui consiste à regarder les épisodes d’une série en lecture accélérée. Sur le plan des consommations, il y a le binge drinking, le protoxyde d’azote, le lean (limonade mélangée à des médicaments opioïdes et antihistaminiques), le cannabis et les substances consommées via la vape (cannabinoïdes de synthèse notamment).
Comment peut-on combattre les addictions liées aux traitements médicamenteux prescrits pour les maladies chroniques ?
Les opioïdes ? Cela peut être nécessaire de les prescrire à court ou moyen terme. Il faut cependant d’abord repérer les personnes vulnérables, à risque de développer une addiction médicamenteuse. Il existe des autoquestionnaires de repérage aussi, comme le POMI (Prescription Opioïd Misuse Index, ndlr). Les professionnels de santé peuvent aussi se faire aider par des addictologues ou des équipes de liaison en addictologie dans les hôpitaux.
Confirmez-vous la prévalence de risques d’addiction dans certaines situations de handicap mise en avant par des études ?
Oui, il y a clairement une coexistence des pathologies psychiatriques et addictologiques. C’est presque du 50/50 et cela concerne les addictions avec et sans substance.
Comment peut-on justement adapter et rendre accessible la prévention, l’information et la pédagogie sur les addictions pour ces populations ?
Il faut intervenir en live et en visio/audio avec des messages adaptés au public choisi. Il faut informer, sensibiliser ainsi, utiliser des supports adaptés et accessibles pour toutes et tous. Il faut aussi prendre en compte l’entourage et les professionnels qui accompagnent les personnes en situation de handicap.
Est-ce ce que vous essayez de faire avec vos podcasts Addiktion ?
Tout à fait, deux saisons du podcast Addiktion sont disponibles sur toutes les plateformes digitales avec des témoignages de personnes anonymes et célèbres. Elles parlent de leur problème avec des substances ou des comportements, mais aussi de troubles sous-jacents qui peuvent être psychologiques, psychiatriques, physiques.
Vous faites aussi de la télévision, écrivez des livres, tenez une chronique dans un magazine de metal… Où trouvez-vous le temps et l’énergie ?
C’est comme ça ! Je fonctionne à la passion pour tout dans ma vie. Le travail n’est pas une corvée pour moi, car je vis à fond les choses à l’hôpital, à la fac, avec mes étudiants, à la télévision, sur le Web… J’aime être créatif, avoir des projets et donc écrire, faire des conférences. Cela doit venir de ma culture metal. Un de mes modèles est Gene Simmons, du groupe Kiss, qui a de multiples projets.
Cette boulimie de travail ne s’apparente-t-elle pas à une addiction ?
Tout ça est une addiction positive pour moi, comme je l’ai écrit dans mon dernier livre : On n’a qu’une vie (aux éditions Fayard). Bien évidemment, comme tout bon Verseau, je déteste les contraintes. Donc il faut que ça pulse pour moi. Mais c’est certain, il faut s’accorder des moments off !
Son CV
• Professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en psychiatrie spécialisée en addictologie à l’université Paris-Saclay et à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) de Villejuif
• Enseignant, chercheur dans l’unité de recherche Psycomadd
• Porte-parole de l’association SOS Addictions
• Conférencier, auteur d’ouvrages et de podcasts
• Chroniqueur dans l’émission Ça commence aujourd’hui, sur France 2