Bientôt, tous addicts ?
Alcool, jeux, écrans, sexe, cannabis, sport... Licites ou illicites, les comportements addictifs irriguent toute la société. Avec plus de 100 000 morts par an, les addictions représentent un problème de santé publique majeur. S’il n’existe pas de remède miracle, il est heureusement possible de se libérer de leur emprise.
Un soir de grande déprime, Sylvain entre chez un buraliste et s’achète un jeu à gratter. Comme un prélude de la suite de sa vie à jouer à pile ou face. « Je me disais : si je gagne, je vais m’en sortir et si je perds, je suis foutu. » Mais en un seul coup de grattage, le destin lui sourit. Très vite, son désœuvrement et sa solitude trouvent désormais une échappatoire en ces instants où ses mains se posent sur les cartons à gratter. Claudia, elle, s’est réfugiée dans la pratique du sexe pour oublier l’indicible. « Je me dégoûte, mais je ne peux pas m’en empêcher », confie-t-elle. Des millions de personnes souffrent d’addictions, sans le savoir ou se l’avouer parfois. Mais moins de 20 % d’entre elles bénéficient d’une prise en charge, selon un rapport de 2019 sur l’e-santé et les addictions. Or l’addiction est une maladie qui se soigne, qu’elle soit liée à une substance ou à un comportement, tel l’usage abusif du jeu ou/et des écrans ou encore la pratique immodérée d’une activité sportive (bigorexie).
Liberté de s’abstenir
« La perte de la liberté de s’abstenir ». C’est ainsi que Pierre Fouqué, le père de l’alcoologie, définissait l’addiction. Au-delà des conséquences néfastes liées aux substances elles-mêmes (pneumologiques et cardiaques pour le tabac, hépatiques pour l’alcool...), toutes les addictions partagent des points communs. « Le besoin de s’adonner à son plaisir devient compulsif et prend progressivement la place de tous les autres comportements, qu’ils soient utiles ou agréables, explique Emmanuel Benoit, directeur général de la Société d’entraide et d’action psychologique (SEDAP) à Dijon. La dépendance et sa dimension aliénante se traduisent par un retrait social, familial et professionnel. » Ainsi, on devient accro petit à petit, à mesure que les mécanismes d’adaptation se mettent en place dans le cerveau, faisant passer du stade de l’usage récréatif à celui du mésusage, puis de la consommation nocive à l’addiction. Pour autant, toute consommation n’aboutit pas systématiquement à l’installation d’une dépendance. « Le phénomène de l’addiction se construit sur un triptyque mettant en présence une substance ou un comportement addictif, une personne sujette à des vulnérabilités particulières et un environnement soudain propice aux débordements, poursuit-il. Plus la réitération des consommations ou des comportements problématiques est motivée par le soulagement d’un malaise ou d’un état de tension, plus le risque de basculer dans la dépendance est élevé. » Psychotraumatismes vécus pendant l’enfance, difficultés professionnelles ou conjugales, deuils difficiles, annonce d’une maladie ou départ à la retraite font ainsi partie des situations individuelles qui viennent perturber les trajectoires de vie et majorent le besoin d’anesthésier ses souffrances dans la consommation de substances addictogènes ou l’adoption de comportements abusifs. Tout comme certaines pathologies (schizophrénie, bipolarité, hyperactivité...) désormais bien identifiées des professionnels de santé. Une étude australienne révèle que 92 % des patients dépendants à l’héroïne avaient été confrontés à un événement traumatique au cours de leur existence. D’autres études ont également fait le lien entre les maltraitances vécues dans l’enfance (violence, négligences, abus sexuels) et l’usage de substances psychoactives à l’âge adulte.
Vaincre ses dépendances par des plaisirs alternatifs
La priorité, c’est le sevrage, affirme tous les spécialistes de l’addiction. Oui, mais difficile de se sevrer seul quand la dépendance, installée depuis parfois des années, se combine à des co-addictions accentuées encore par un contexte psychosocial délétère. La prise en charge de l’addiction dépend de nombreux facteurs, notamment de l’histoire du patient et de son âge. Pour être efficace, le traitement doit combiner un ensemble de dispositifs thérapeutiques. On parle d’approche multimodale ou bio, médico, psycho et sociale. Plus précisément, pas de modèle unique, mais du sur-mesure. De fait, les soignants disposent aujourd’hui de nombreux outils (médicaments de substitution tels que la Méthadone®, TTC, EMDR, hypnose, sophrologie...) pour atténuer les souffrances liées à l’arrêt, traiter le trauma, le mal de vivre, la quête de l’impossible et inscrire le processus de sevrage dans la durée. Mais faut-il encore parvenir à susciter l’envie de changement... Aussi les addictologues misent-ils en premier sur une stratégie motivationnelle. « Il s’agit d’une forme de psychothérapie qui incite le patient à trouver en lui les bonnes raisons de modifier son comportement, précise Emmanuel Benoit. L’idée, c’est de replacer le patient dans la situation où il était avant le problème, ou de faire jouer les balances émotionnelles et décisionnelles en l’aidant à explorer de nouveaux territoires qui lui permettront de trouver des plaisirs alternatifs. »
Ex-accro à l’alcool, Nathanaël Petit-Desselle, lui, s’est servi aussi du pouvoir salvateur des mots pour vaincre les démons d’une addiction commencée dès l’âge de 13 ans. Issu d’un milieu aisé, il fréquente les meilleures écoles, décroche des jobs en vue, gagne plus que correctement sa vie. Mais la souffrance est toujours là. Elle l’entraînera si loin dans les vapeurs d’alcool qu’à l’aube de ses 30 ans, il décide de mettre enfin un terme à cette histoire d’amour sans avenir. « Amoureux d’une michetonneuse aux mille visages, aux mille parfums, aux mille houblons. Amoureux d’une boisson qui m’ôtera année après année tout ce que je tenterai de construire. Alors, après lui avoir laissé tant de chances de s’en sortir sans égratignures, j’ai décidé aujourd’hui de la massacrer dans son sommeil », écrit-il dans un livre paru en 2022, Les Âmes bâtées (éditions Maïa), aux accents rageurs. Mais éminemment sincère.
Où trouver de l’aide ?
S’adresser aux professionnels de santé de proximité : médecin traitant, pharmacien, service de santé au travail, médecine scolaire ou universitaire. Ils peuvent orienter vers des centres d’addictologie ambulatoires ou hospitaliers. Deux types de structures existent : les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et les Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD).
Contacts : www.sosjoueurs.fr, www.joueursinfoservice.fr, www.evaluejeu.fr
Alcooliques anonymes : 09 69 39 40 20
Narcotiques anonymes : 01 43 72 12 72
30 % C’est, chaque année, la part des décès avant 65 ans dans lesquels sont impliquées les conduites addictives
Source : ministère des Solidarités et de la Santé