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Catégorie
Société

Un mal pour soigner des maux

Par 
Comité de rédaction
Cécile Fournier
Numéro 172 26 février 2023
Contenu
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Prendre des antidouleurs ou des antidépresseurs est loin d’être un geste anodin. Certains médicaments peuvent entraîner un effet d’accoutumance et, pour les malades, c’est là que l’enfer commence.
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Dessin Ranson 1 du numéro 172.
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La prise de certains médicaments comporte un risque non négligeable : l’addiction! Dans la ligne de mire des autorités de santé, de plus en plus préoccupées par la question : les antidouleurs, les antidépresseurs, les hypnotiques et les anxiolytiques. Il faut dire que les Français en sont friands : chaque année, plus de 3 milliards de boîtes sont vendues, soit une boîte par personne et par semaine. Une situation d’autant plus inquiétante que leur consommation a augmenté dans la période post-Covid. Par exemple, plus de 1,1 million de traitements à base d’anxiolytiques ont été délivrés en six mois par rapport à l’attendu (étude Epi-phare), et les conséquences s’aggravent. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) tirait déjà la sonnette d’alarme dans un rapport de 2019. Elle rappelait alors que le nombre d’hospitalisations liées à la consommation d’opioïdes (tramadol, morphine et codéine notamment) a ainsi presque triplé (avec une hausse de 167%) entre 2000 et 2017, tandis que le nombre de décès en France a augmenté de 146% entre 2000 et 2015. En 2016, le chanteur Prince est décédé des suites d’une overdose de fentanyl, un puissant antidouleur. Cet analgésique fait d’ailleurs partie de la liste des substances psychoactives à potentiel abus, surveillées de près par le réseau français d’addictovigilance, à l’instar du clonazépam (anxiolytique), du flunitrazolam (hypnotique), de la tianeptine (antidépresseur) ou encore du zolpidem (somnifère). La création de ce réseau découlerait de cette prise de conscience à la fin des années 90 de la nécessité de mieux traiter les souffrances physique et psychique, ce qui a induit par la suite le boom des prescriptions de médicaments. Et les premiers concernés sont les personnes souffrant de douleurs chroniques.

Des addictions handicapantes

Selon les chiffres synthétisés par la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) en 2021, la douleur fait partie du quotidien de nombreux Français. 32% expriment ainsi une douleur récurrente depuis plus de trois mois et 20% déclarent des douleurs chroniques d’intensité modérée à sévère comme Léa-Rose. À la suite d’un accident de surf, cette jeune femme alors âgée de 21 ans est opérée du genou et se voit ainsi prescrire de la codéine à raison d’un comprimé une fois par semaine. « Au bout d’un moment, cela ne me suffisait plus, j’ai décidé d’augmenter la dose et j’en prenais deux ou trois chaque fois que j’avais mal », explique-t-elle avant d’admettre : « C’est devenu une solution à tout, quand cela n’allait pas physiquement ou même moralement. Cela me détendait si j’étais stressée. » Une descente aux enfers dont elle a eu du mal à sortir. D’autres médicaments comme les benzodiazépines entraînent eux aussi une accoutumance, tout en perdant de leur efficacité. Les corticoïdes, quant à eux, du fait de leur effet stimulant, peuvent être détournés de leur usage prescrit contre les inflammations. Et les somnifères agissent de manière très rapide, et donc cela favorise leur utilisation abusive. Et qui dit addiction dit effets très indésirables comme la dépression, les douleurs, les angoisses, les insomnies, les risques de crise cardiaque. Autant de situations extrêmement invalidantes, sans parler, bien entendu, du repli sur soi et de la désocialisation.

Un sevrage en douceur

Mais, heureusement, toute prise de médicament ne conduit pas à l’addiction. Pour ce faire, il y a quelques recommandations à suivre : éviter l’automédication, consulter régulièrement son médecin pour réévaluer le traitement, respecter les indications propres à chacun, arrêter progressivement. Un conseil que l’ex-chanteuse Diam’s n’a pas suivi. En 2019, elle racontait que, du temps où elle souffrait de dépression, elle prenait neuf cachets par jour. « Je ne m’en sortais pas, confie-t-elle. Mais j’étais convaincue qu’une vie normale était possible sans tous ces traitements. J’ai voulu tout arrêter d’un coup. J’ai fini dans une ambulance. Le choc fut trop violent. C’est finalement un psychiatre qui m’a aidée à réduire les doses sur plusieurs mois. »

Pour essayer de pallier ce risque d’addiction, il existe d’autres solutions pour soulager la douleur, comme la neurostimulation, qui consiste à appliquer un léger courant électrique sur le trajet d’un nerf pour créer un signal parasite, qui bloque la transmission du message douloureux. La physiothérapie, la cryothérapie ou l’application de froid, ou encore l’hydrothérapie, qui se pratique dans l’eau, peuvent être également préconisées. Miser sur une alimentation anti-inflammatoire à base de fruits et légumes, de poissons gras et d’oléagineux peut en faire diminuer l’intensité. Et il faut savoir que l’Institut de génomique fonctionnelle (IGF) de l’université de Montpellier/Inserm/CNRS travaille sur des opioïdes sans effets secondaires. Aujourd’hui, les médicaments opioïdes agissent sur les récepteurs opioïdes, qui contrôlent non seulement la douleur, mais aussi la récompense, la dépendance, l’humeur. L’enjeu de la recherche est donc d’identifier la zone des récepteurs opioïdes impliquée uniquement dans le contrôle de la douleur, sans avoir d’incidence sur les autres. En attendant, bouger reste la meilleure façon de prévenir, de calmer, de soulager les douleurs.

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Photo pied boulet.
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Les opioïdes sont à l’origine d’addictions médicamenteuses.
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Cédric

Victime d’une addiction au Laroxyl

« En 2009, on m’a diagnostiqué une fibromyalgie, une maladie qui provoque des douleurs diffuses intenses. Les premiers symptômes avaient commencé deux ans auparavant. Et c’est là qu’un médecin a commencé à me prescrire du Laroxyl, un antidépresseur censé calmer les douleurs et surtout m’aider à dormir. Au départ, j’en prenais 10 gouttes par jour, et très vite j’en ai pris 20, 30, 40, jusqu’à 150 gouttes par jour. À chaque fois que je voyais le docteur, je lui disais avoir augmenté les doses. Il répondait : “Très bien. C’est normal, il faut du temps pour se réguler, et si vous l’avez fait, c’est que vous en aviez besoin.” Et il me prescrivait le nombre de bouteilles adéquates pour que je puisse continuer à en prendre 150 gouttes. Personne ne me ralentissait. Un jour, je me suis rendu compte que je ne sortais plus, juste pour pouvoir en prendre, car je m’interdisais de conduire si j’en avais pris.

En 2013, on m’a enlevé la thyroïde, car on suspectait un cancer. Le docteur me dit que le médicament que je dois prendre à vie pour la remplacer n’est pas du tout compatible avec le Laroxyl, voire que le mélange est dangereux. Je lui affirme que je vais arrêter sur-le-champ, et là il me répond tout net que c’est impossible. En effet, j’ai mis dix-huit mois pour me sevrer. Je descendais le dosage progressivement, parfois je recraquais. J’ai ressenti un véritable manque : je n’arrivais pas à dormir, je tremblais. Aujourd’hui, je me force à ne pas demander de prescription, sinon je replongerais, c’est certain. »