Quand le handicap favorise l’addiction
Être en situation de handicap, c’est être souvent beaucoup plus vulnérable aux différentes addictions : drogue, médicaments, jeux… Un fléau dont on a certes pris la mesure, mais contre lequel on tarde à prendre des mesures.
De nombreuses études le montrent : les personnes en situation de handicap sont plus sujettes aux addictions. Leur taux de consommation, tous produits confondus excepté l’alcool, est en effet plus élevé que chez les personnes valides (40 % versus 34 %). Dans une note de cadrage de la Haute Autorité de santé, datée d’octobre 2020, on pouvait lire : « elles peuvent présenter une fragilité sociale, relationnelle et psychique susceptible de les placer en situation de risque en matière de consommation de substances psychoactives licites et des écrans ». Une affirmation que vient corroborer le Dr Gomet, médecin addictologue, membre du bureau de la Fédération Addiction : « C’est un facteur de vulnérabilité au même titre que l’hérédité, les problèmes psychologiques et le contexte environnemental. Le handicap entraîne non seulement des difficultés environnementales, mais aussi des fragilités psychologiques. » De cela peut découler un mal-être calmé à coups de médicaments, d’alcool, de drogue.
Troubles du neurodéveloppement à risques
Et l’addiction semble même aller de pair avec certaines pathologies. Le TDAH (Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) en est un exemple. Il se caractérise par une hyperactivité, une impulsivité, ainsi que des troubles de l’attention. Quelques produits apparaissent pour certains comme les seuls moyens de se canaliser. Des chercheurs avancent que ce trouble serait dû à un manque de dopamine, l’hormone du bonheur, et de noradrénaline, des neurotransmetteurs qui permettent aux neurones d’échanger leurs signaux et de communiquer entre eux. Comme les drogues augmentent temporairement l’activité de la dopamine, les personnes présentant un TDAH ont un risque plus élevé d’en abuser. Les chiffres sont pour le moins éloquents. À partir de 17 ans, ils ont huit fois plus de risques que le reste de la population d’adopter un comportement addictif. 30 à 50 % des adolescents abusant de substances ont un TDAH. Chez les personnes dépendantes des opiacés, 22 % ont des antécédents de TDAH dans l’enfance et 88 % d’entre elles ont des symptômes à l’âge adulte (Eyre, 1992, et King, 1999). 35 % des cocaïnomanes avaient un TDAH dans leur enfance et 50 % en ont un à l’âge adulte. Parmi les plus célèbres : Johnny Depp, qui fut un temps, dit-on, accroc aux médicaments, tels l’adderall et l’oxycodone, afin de calmer les effets du TDAH. Dans un autre registre et dans une moindre mesure, la chanteuse Louane, elle aussi diagnostiquée TDAH, confesse qu’elle est accro à la cigarette.
Les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique, elles aussi, seraient plus sujettes à “tomber” dans la dépendance. L’une des addictions les plus fréquentes est l’alcoolisme, qui soulagerait le sentiment d’anxiété au cours des interactions. Anthony Hopkins, autiste Asperger, est sobre depuis quarante-sept ans, comme il l’a récemment rappelé dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. « J’étais alors dans un état désespéré, complètement abattu, confie l’acteur de 85 ans. Je n’en avais plus pour longtemps à vivre. Et puis j’ai compris que la condition dans laquelle j’étais, de souffrance mentale, physique, émotionnelle, c’était l’alcoolisme, ou plus précisément la dépendance. »
Contrer les pertes sensorielles
L’échappatoire peut aussi venir des jeux vidéo, qui permettent d’éviter les relations dans le monde réel, si difficiles pour les personnes souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme. Sans oublier que ces produits donnent l’illusion de pouvoir contrer ce qu’on appelle “le démantèlement sensoriel”, la perte progressive de la conscience des sensations corporelles. Cela provoque des angoisses qui sont réversibles grâce à des moyens sensoriels intenses, pour restaurer cette conscience perdue. Et bien évidemment, les substances endossent, malheureusement, ce rôle.
Sans oublier les personnes souffrant de douleurs chroniques qui seraient plus de 12 millions dans l’Hexagone, enclines à prendre des antidouleurs, qui ont un fort pouvoir d’accoutumance (voir article page 52). Et ces addictions en tout genre peuvent être d’autant plus délétères qu’elles exacerbent les problèmes déjà subis par ces personnes. Le cannabis par exemple peut déclencher chez un schizophrène une crise psychotique. Les antidépresseurs mélangés à d’autres produits peuvent aggraver le sentiment d’anxiété et les drogues telles que la cocaïne peuvent provoquer des troubles psychiques comme la paranoïa. Le manque est source d’importantes douleurs dans tout le corps.
Des professionnels peu sensibilisés à la question
Si préoccupante que soit la situation, les professionnels de santé n’y sont, semble-t-il, que peu sensibilisés. « On n’en parle pas encore assez dans les formations médicales », estime le Dr Gomet, rejoint par Christian Biotteau, vice-président de l’Unapei. « Voilà pourquoi nous proposons, une ou deux fois par an, la formation “Accompagner une personne handicapée ayant une conduite addictive” pour aider les professionnels à repérer ces comportements et à accompagner ces patients. » Et le médecin d’ajouter : « Il faut, je pense, faire attention à la réévaluation des traitements médicamenteux pour éviter l’automédication, qui peut entraîner de l’addiction. » Le Crehpsy des Hauts-de-France, un centre de ressources spécialisé dans le champ du handicap psychique, propose également des actions sur la thématique “Handicap psychique et addictions”. Ou bien encore il existe des hôpitaux de jour, comme Addictologie et psychiatrie, à Paris, qui accueille des personnes qui ont des difficultés psychologiques. Il existe donc quelques initiatives isolées pour tenter de résoudre ou plutôt d’exposer le problème. Autre difficulté rencontrée : l’incapacité de certains publics à parler de leur consommation dans un premier temps, à la mesurer, et surtout à identifier l’addiction. En Suisse, un questionnaire a été mis en place dans les cas de déficience intellectuelle, le Sum ID-Q, afin de mieux cerner ces questions avec le patient. Autant de petites pierres à l’édifice de la lutte contre la dépendance, qui ne fait que commencer.